Lila Neutre est née en 1989. Cette jeune photographe française est la première à avoir obtenu le doctorat de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles et d'Aix-Marseille Université dans la discipline "Pratique et théorie de la création artistique et littéraire". Enseignante à la Parsons Paris, elle coordonne également le programme de recherche du 3eme cycle à l’ENSP. Si son vocabulaire visuel se réfère à la photographie de mode et aux cultures pop, son travail interroge plus largement les concepts d’identité et d'expression de soi dans les sociétés contemporaines ainsi que la dialectique entre le photographiant et le photographié. Lila fait partie de la première génération d’artistes en résidence à Romainville, programme soutenu par la fondation FIMINCO. Site: www.lilaneutre.com
Soutenue en 2017, sa thèse, intitulée "Sculpter le soi. Le corps social comme dispositif de résistance, l'apparence comme poétique de survie", a été dirigée par Sylvia Girel (AMU) et Arnaud Claass (ENS). Situé à la croisée de la sociologie et de la pratique photographique, le travail de Lila s'intéresse à l'apparence vestimentaire comme instrument de lutte collective. Sa thèse tisse des liens entre cinq communautés sous-culturelles qui investissent le vêtement comme un support de revendications sociales et politiques. Quels liens unissent la pratique du roller derby, de la sape, du cosplay ou du voguing et que disent-elles du monde ? En apparence dissemblables, regroupant des membres d’âges, de sexes, d’origines différentes et s’ignorant la plupart du temps l’un l’autre ; ces groupe partagent néanmoins des symboles, une idéologie et une organisation sociale qui nous parle de nos sociétés contemporaines. Dans une forme maîtrisée de l’apparat et de la pose, tous utilisent leur corps comme un dispositif de résistance et interrogent la validité et les limites des impératifs sociétaux.
Les photographies de Lila ne font pas de distinction entre surface et profondeur, authentique et artificiel. Leur mise en espace et le travail de séquençage, de redondance ou de variations qu'il suppose, invite à considérer l'apparence comme un langage, c’est-à-dire comme un lieu de signifiance. L’apparence devenant la manifestation ostentatoire de prises de position politique, philosophique ou sexuelle. Son histoire (et par extension, celle de la mode et du vêtement) reflète des mutations sociales profondes. Parce qu’ils portent en eux un système de convenances et de moralités, le corps et le vêtement sont des objets infiniment politiques, culturels et sociaux. De miroirs de l’âme dans une conception aujourd'hui surannée, ils le sont devenus de leur époque, dévoilant l’histoire de ses luttes. Depuis toujours, il est des individus pour s’exprimer et s’inventer au travers du style. De simple parti pris vestimentaire, celui-ci peut parfois se faire l’expression d’un mode de vie en rupture avec les normes imposées d’une société. C’est de cette seconde catégorie d’hommes et de femmes, parfois d’adolescents, dont il est question dans ce projet. Des individus aux formes de vie différentes qui entendent contester les normes et les échelles de valeurs admises par la frange dominante de la société, s’opposer aux distinctions qu’elle opère entre bon et mauvais goûts, entre culture d’en haut et culture d’en bas.